Provoquer de l’émotion chez le lecteur, qu’elle soit positive ou négative, c’est notre travail à nous les écrivains.
Car après tout, ne lit-on pas pour s’immerger dans une autre vie, pour s’identifier à des personnages attachants et ainsi ressentir des émotions ?
Finalement, un roman qui ne provoque aucune émotion chez le lecteur, c’est un peu comme un mois d’août sans soleil, si je peux me permettre : ça ne fonctionne pas !
J’en parle à mon aise, car travailler l’émotion était un de mes nombreux axes de progrès en tant qu’écrivaine débutante 😊 Je crois que j’avais peur de trop en faire et de sombrer dans le pathos…
Je me suis donc particulièrement documentée sur le sujet.
Je partage avec vous dans cet article mes techniques pour provoquer l’émotion chez le lecteur sans en faire des caisses et tout en finesse !
1- Générer de l’empathie pour vos personnages
Rien de tel qu’un héros présentant une touche de vulnérabilité pour susciter de l’empathie et ainsi provoquer de l’émotion chez le lecteur.
Avez-vous remarqué à quel point on a immédiatement envie de prendre la défense d’un personnage maltraité ? Le motif du héros qui commence l’intrigue comme souffre-douleur ou exclu est d’une popularité sans démenti. On le retrouve dans beaucoup de contes – pensez au Vilain Petit Canard ou à Cendrillon.
Pour des variations plus modernes : voir Carrie de Stephen King, et beaucoup de héros de Stephen King de manière générale !
Un personnage qui m’a particulièrement bouleversée dans mes dernières lectures : le héros de Sur le Fil de Dominique Dejob, un petit garçon défiguré suite à un accident d’avion et à qui la société fait cruellement sentir sa différence.
Sans faire de votre héros un souffre-douleur, vous pouvez tout simplement le placer dans des situations qui font appel à des sentiments universels forts chez le lecteur.
Ex : la mort d’un être cher, la maladie, la séparation, la détresse d’un enfant, un passé difficile, ou tout simplement la nostalgie d’une période heureuse…
Ce sont des événements que chacun d’entre nous peut être amené à vivre, et qui créent donc une connexion émotionnelle avec votre lecteur.
Enfin, l’émotion peut aussi provenir d’un personnage secondaire particulièrement attachant. Les malheurs de ce personnage font alors écho à l’intrigue principale et illustrent le thème du roman.
Exemple : le destin tragique du personnage de Parvin, la sœur de l’héroïne de la Perle et la coquille, constitue une des nombreuses illustrations de la déplorable condition féminine en Afghanistan.
2 – Provoquer de l’émotion chez le lecteur en montrant les réactions de vos héros
Pas besoin de tomber dans le piège de la surenchère d’actions en mode blockbuster américain pour captiver vos lecteurs.
Votre lecteur s’intéresse aussi à la manière dont vos personnages vont réagir aux épreuves qu’ils traversent.
Cette réaction peut s’exprimer par des pensées, des sentiments, de souvenirs, peut-être des images, chez votre héros. Vous pourrez utiliser la technique du monologue intérieur pour les montrer, ou du flashback (sans trop en abuser néanmoins).
Personnellement, cette dimension psychologique du roman me passionne ! Ce sont la richesse du monde intérieur d’un personnage et sa capacité à ressentir des émotions qui lui donnent de la crédibilité et de la profondeur.
Et puis, bien sûr, votre héros sera amené à prendre des décisions et à agir pour surmonter les obstacles. Sinon il ne serait pas vraiment un héros, non ? Des actions extraordinaires montrant la capacité du héros à se dépasser ont un pouvoir émotionnel remarquable.
Exemple : le sacrifice du héros pour protéger un être cher, ou sa capacité au pardon.
3 – Utiliser le langage corporel pour dépeindre l’émotion
On est ici dans le fameux « Show it, don’t tell it ». Autrement dit : montrer et donner à ressentir plutôt que dire.
Ainsi, ne dites pas que votre personnage est embarrassé, triste ou joyeux, mais montrez cette émotion en utilisant le langage corporel :
– le verbal : tonalité de la voix, manière de s’exprimer (hésitante, affirmée, agressive, etc), conversation avec les autres personnages…
– le non verbal : ce que le personnage ne dit pas mais ressent physiquement de l’intérieur : le rythme du cœur qui s’accélère, la gorge sèche, le souffle court. Ou ce que son entourage peut percevoir de l’extérieur comme un regard vide, un mutisme, un visage marqué, des cernes, une odeur d’alcool, des tics nerveux…
La palette est large !
Ces techniques permettent d’incarner l’émotion ressentie par vos personnages, et ainsi de la faire vivre au lecteur en sollicitant ses sens.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous invite à lire l’article du blog « Écrire avec les sens ».
💡 Astuce : prenez le temps de creuser vos personnages pour détecter leur langage corporel unique, leur manière propre de répondre émotionnellement aux circonstances. Un personnage timide qui doit aller demander une augmentation à son boss ne va pas se positionner du tout de la même manière qu’un personnage sûr de lui : regard fuyant, voix hésitante, épaules voûtées, tendance à s’excuser de demander quelque chose, pensées dévalorisantes… Vous voyez le tableau ?
4 – Pas besoin de sombrer dans le pathos pour provoquer de l’émotion chez le lecteur
Provoquer des émotions chez le lecteur ne va pas forcément de pair avec tristesse et tragédie.
d’ailleurs, le Larousse définit l’émotion comme « un trouble subit ou une agitation passagère causés par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc »
La lecture peut susciter des émotions très positives, comme la joie, la sérénité, l’apaisement, la tendresse. Et ainsi nous tirer vers le haut, nous servir de modèle pour affronter nos propres difficultés.
L’essentiel est que ces émotions soient fortes.
Le roman La Couleur du bonheur de l’écrivaine chinoise Wei Wei, raconte le destin d’une famille chinoise prise dans la tourmente de la Révolution culturelle.
Ça commence plutôt mal : Bai-Lan perd brusquement son mari à la naissance de leur deuxième enfant. Accusé de « droitisme », le jeune homme est envoyé dans un camp de rééducation, sans espoir de retour. Heureusement, Mei-Li, la mère de Bai-Lan, vient s’installer avec elle et l’aide à élever ses deux enfants dans une Chine au bord de la guerre civile.
J’ai un coup de cœur complet pour ce personnage lumineux de grand-mère. Cuisinière hors pair et conteuse de talent, elle ramène la joie dans la famille… et chez le lecteur.
Pas de pathos ni de mélodrame dans ce livre mais une ode à l’amour familial, à la tendresse, aux petits bonheurs humbles du quotidien qui mettent du baume sur les grands chagrins de la vie. Bref, un livre qui fait du bien. Et qui reste en mémoire !
5 – Provoquer de l’émotion chez le lecteur avec des détails forts
Le décor des scènes de votre livre est un très bon outil pour exprimer les émotions de votre personnage.
Pas besoin de tout décrire. Au contraire, faites plutôt des focus sur quelques détails imprégnés d’une forte puissance dramatique qui résonneront immédiatement chez votre lecteur et marqueront son imaginaire.
Un exemple tiré de Filles de la mer, somptueux roman de Mary-Lynn Bracht que j’ai déjà évoqué dans de précédents articles tant ce livre m’a laissé une forte impression :
Une vieille dame, Emi, se rend à Séoul dans une dernière tentative pour retrouver sa sœur Hana, enlevée par l’armée japonaise plus de 60 ans auparavant. Sur la route de l’aéroport, Emi croise une scène d’accident.
La manière dont Emi perçoit cet accident reflète le sentiment de perte qui l’habite depuis l’enlèvement de sa sœur :
« Emi ne peut s’enlever de la tête l’image de cette peluche échouée dans l’herbe, les épaules de l’homme secouées de sanglots, la couleur rouge comme du sang de ce short. Elle ressent jusque dans sa moelle que quelque chose de précieux a été perdu. »
6 – Transmettre l’émotion en jouant avec la ponctuation et le rythme de vos phrases
Hé oui, le rythme et la ponctuation de vos phrases peuvent transmettre des émotions !
Pensez à relayer un monologue intérieur sous la forme d’une phrase très longue, avec peu de virgules. Cette absence de respiration), entraînera le lecteur dans une sorte d’apnée, d’urgence. Un procédé utile pour évoquer un trouble intérieur intense, un enchaînement rapide d’actions. Bref : un danger, un moment où tout bascule et où l’on retient son souffle.
C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon roman Cheveux aux Vents. Mes deux héroïnes, sont cachées par leur père dans une jarre à blé. Au même moment, un groupe de rebelles attaque leur village.
Un exemple de phrase longue :
« Des talons avaient claqué, ça semblait venir de la placette, des gens qui couraient, et puis des craquements, des coups violents dans la nuit, ça résonnait, un vacarme du tonnerre, et puis des cris, les premiers cris, figés en d’interminables hurlements, des coups de feu, mais pas comme ceux qu’on tirait pour les mariages, parce qu’on n’en tirait que quelques-uns pour économiser la poudre, alors que là c’était des rafales et ça fusait froidement sans vouloir s’arrêter, comme une mauvaise pluie, et les mains des petites qui s’agrippaient avec force, on aurait dit que ça venait de chez les voisins à présent, pourvu qu’on ne fasse pas de mal à Tamsin, elle savait inventer des histoires comme personne, des voix gutturales aboyaient des ordres, des cris encore, des supplications (…) »
A l’inverse, des phrases très courtes produiront un effet choc, comme une décharge électrique adressée à votre lecteur ! Exemple : « Foutu. » ou « BAM ! ».
Le secret ? Doser l’utilisation de tous ces procédés et de varier le rythme et la longueur de vos phrases. En écriture, tout est affaire de contraste !
J’espère que ces conseils vous auront donné des idées pour provoquer de l’émotion chez le lecteur. N’hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous en avez pensé !
Photo de couverture : Bru-n0
4 commentaires
Comme toujours, chère Garance, tes conseils sont excellents et tes remarques très justes. J’ai aimé ton roman dans ses deux parties et tu me donnes envie de lire le roman chinois, .
Continue à écrire et à nous initier à l’art du roman!
Merci beaucoup Tiphaine, ravie que mes livres vous aient plu 🙂
Et je vous recommande vivement le roman de Wei Wei !
Décidément, Garance, tu donnes l’envie d’écrire! Le problème, comme tu l’as dit une fois, c’est de se faire lire et d’oser se faire lire! Mais peut-être faut-il avoir la vocation, et tu l’as! Bravo en tout cas pour ces articles vraiment intéressants et qui témoigne du travail que représente l’écriture d’un roman! Il ne suffit pas d’écrire ce qu’on a envie d’écrire, c’est clair! A quand ton prochain ouvrage? Et ton prochain article?
Merci Martine pour vos encouragements. Je ne sais pas si j’ai la vocation, plutôt la persévérance ! En tout cas, il ne faut pas avoir peur de faire lire ce qu’on écrit à des personnes bienveillantes : l’écriture est un art difficile, dans lequel on est toujours en progression.
Prochain article pour bientôt, et prochain ouvrage… c’est une autre histoire 🙂