Écrire un dialogue percutant est un must pour tout auteur qui se respecte.
Pourquoi ?
Parce que le dialogue est un des moyens les plus rapides qui soit pour évaluer la qualité d’un manuscrit.
Un dialogue monotone et maladroit donne immédiatement l’impression au lecteur d’être entre de mauvaises mains.
C’est encore pire niveau éditeurs. Comme la typographie du dialogue se repère facilement, c’est une des premières choses que les maisons d’éditions regardent quand elles reçoivent votre manuscrit. Un dialogue identifié comme mauvais conduira au rejet du manuscrit sans autre forme de procès.
Mais la bonne nouvelle, c’est qu’un dialogue maîtrisé est aussi un des outils les plus efficaces pour améliorer un manuscrit 🤩
Comme le sujet me passionne, j’ai effectué des recherches approfondies sur le sujet, et j’ai dégagé des règles d’or à suivre pour écrire un dialogue du feu de Dieu !
Alors, prêts à passer à la vitesse supérieure ?
1 – La fonction première du dialogue
Le dialogue est un des outils les plus puissants dont dispose un écrivain pour révéler ses personnages, donner à entendre leur voix propre, leur personnalité unique.
Avez-vous remarqué comme le simple fait d’entendre une personne parler en dit long sur sa personnalité, son milieu social, son origine, son âge ?
A-t-elle des tics de langage ? Des expressions fétiches ? Un accent ? Son registre de langage est-il relâché ou soutenu ? Quel est le débit de sa voix : ultra rapide ? Posé ? Soporifique ?
Exemple dans La ballade de l’enfant gris de Baptiste Beaulieu, avec un personnage d’infirmière en chef haut en couleur qui ne peut pas s’empêcher de tenir un langage ordurier :
« L’infirmière roule entre ses doigts le pendentif en or qui pend à son cou. Un crucifix. Elle le fait toujours aller et venir nerveusement quand elle parle de la chambre 33.
— Pourquoi tu lui racontes ça, Jo, pourquoi tu lui dis pas la vérité ? Pourquoi tu es si… si… Trou du cul, trou de balle, tronche de cake, toqué, tocard !
— Tu veux dire si… lâche ? »
Veillez à ce que vos différents personnages aient des voix bien différenciées. A ne s’exprimera pas comme B, etc.
Le dialogue montre la personnalité authentique de vos personnages.
Il leur permet aussi d’interagir entre eux, d’approfondir leurs relations entre eux, et ainsi de faire avancer l’intrigue.
2 – Les pièges à éviter quand on écrit un dialogue
Évitez les salamalecs
Un dialogue réussi est un dialogue qui sonne le plus naturel possible.
Mais cela ne veut pas dire qu’il faut retranscrire intégralement ce qu’une véritable conversation entre 2 personnes donnerait. En effet, nos échanges oraux sont très souvent truffés de mots, expressions, interjections parasites. Et les échanges de banalités, par contrainte sociale, peuvent durer trèèès longtemps.
Épargnez-les à vos lecteurs. Dans la fiction, ils n’ont aucune utilité.
Exemple :
« — Ah salut, Marie, ça va ?
— Euh oui, en fait j’ai un mémo à finir.
— Ah mince, je ne voulais pas te déranger, désolé.
— Non non, aucun problème.
— Écoute, je vais me chercher un café, est-ce que tu veux que je te ramène quelque chose ?
— Si ça ne te dérange pas, je veux bien un café aussi.
— Un café, super.
— Avec du lait. Et deux morceaux de sucre, s’il te plaît.
— Deux sucres, ça roule ».
Rentrez rapidement dans le vif du sujet. Sabrez les échanges de banalités et les détails insignifiants. Franchement, ça intéresse qui, le nombre de sucres que Marie prend avec son café ?
En revanche, il en va différemment si le détail est signifiant pour la suite de l’histoire.
Par exemple, si nous sommes à la fin du livre et si Marie a dit à Pierre au tout début du livre que le jour où elle prendra deux sucres dans son café, cela voudra dire qu’elle est amoureuse de lui. Là, le nombre de sucres dans le café prendra toute son importance 😊
Cottonbro
Écrire un dialogue sans info dumping
Une des plus grandes difficultés, quand on démarre une histoire, est de donner au lecteur des informations suffisantes pour qu’il puisse rapidement situer les personnages et le contexte global.
Mais sans pour autant avoir l’air de caser les informations de manière artificielle.
C’est pour ça que la plupart du temps, délivrer les informations via des lignes de dialogue ne fonctionne pas. Vos personnages auront l’air de réciter leur texte !
Un petit exemple :
« Paul aperçut Marie assise dans le restaurant. Il se dirigea vers elle.
— Bonsoir, Marie, je sais que tu viens ici tous les mardi soir et que tu aimes t’asseoir à cette table.
— Oui, Paul. Et je sais que tu aimes bien porter cette cravate blanche et rouge, comme celle que tu portes ce soir.
— Oui Marie, tout à fait. Est-ce que je peux m’asseoir ? Je sais que ton petit ami, Pierre, avec qui tu es depuis 5 ans, ne va pas apprécier, mais il faut que je te parle.
— Bien sûr, Paul, assieds-toi. Mais attention, je sais que ta jambe droite est sensible depuis que tu t’es blessé en jouant au tennis, et que les médecins ont dû t’opérer pour te retirer trois tendons. »
Vous notez comme le dialogue a l’air forcé ?
Pour éviter l’info dumping, n’hésitez pas à lire l’article du blog : « Ces erreurs d’écriture qui plombent votre roman ».
Un moyen simple d’éviter ce genre de travers : demandez-vous si vos personnages connaissent déjà la chose dont ils sont en train de parler.
A priori, ils ne vont pas se raconter des choses que l’un et l’autre savent déjà 😊
Dans la vraie vie, Paul ne rappellerait pas à Marie que Pierre est son petit ami depuis 3 ans. Elle est au courant, merci bien. Il lui dirait juste : « Je sais que Pierre ne va pas être content ».
Et inversement, Marie ne rappellerait pas à Paul qu’il s’est blessé en jouant au tennis et qu’on a dû lui retirer 3 tendons. Elle lui dirait plutôt : « Je sais que ta jambe est sensible ».
Si vous avez des informations de contexte à faire passer, utilisez plutôt quelques lignes de monologue intérieur avant de démarrer le dialogue, ou même à l’intérieur du dialogue. L’effet sera bien plus naturel, car le lecteur sera dans les pensées du personnage. Par exemple, Paul pourrait ressentir une pincée de jalousie au cœur en prononçant le nom de Pierre, le petit ami en titre de Marie.
Dire et les autres
Allez-y mollo sur les verbes associés aux lignes de dialogue.
Je sais, vous êtes un auteur. Vous adorez écrire. Explorer toutes les nuances de la langue.
Du coup, les « dit-il », « dit-elle », c’est un peu basique, à la fin. Un peu monotone.
On a envie de verbes plus complexes comme piailler, rugir, mugir, hurler, chuchoter, geindre, conclure…
Faites-le de temps en temps, mais n’en abusez pas.
Car ce qui est vraiment chouette « dit-il », c’est qu’il est invisible. L’œil du lecteur passe sur lui sans le voir réellement, ce qui rend la lecture des échanges très fluide.
Alors qu’un abus d’autres verbes alourdit le dialogue.
Exemple :
« J’étais là le premier ! protesta Franck.
— J’ai 80 ans, je suis prioritaire, bêla Yvonne.
— N’importe quoi ! gueula Franck.
— Vous êtes odieux, gémit Yvonne.
— Allez, la petite dame en premier, trancha le caissier. »
On y va doucement avec les adverbes
Dire lourdement, conclure tendrement, couper brutalement…
Là encore, pas d’interdiction absolue. Parfois un adverbe sera tout à fait bienvenu pour appuyer le verbe.
Mais bien souvent, il ne sera pas nécessaire. L’idée exprimée par l’adverbe sera en réalité contenue dans les mots de votre personnage, ou dans son attitude.
Ex : « — Ta gueule, coupa-t-elle brutalement. »
Pas besoin de brutalement, « Ta gueule » fait déjà suffisamment l’affaire en termes de brutalité 🤯
« Couper » devient aussi inutile, d’ailleurs.
Pas de passé simple dans la bouche de vos personnages
À l’intérieur du dialogue, de grâce, pas de passé simple. J’ai un jour lu un livre dans lequel un personnage racontait des choses à un autre en s’exprimant au passé simple. Le passage était intéressant par ailleurs, mais j’ai trouvé que ce choix narratif le massacrait complètement.
Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui s’expriment au passé simple en parlant ? Comme par exemple :
« Belinda vida son verre de whisky.
— À l’époque, dit-elle, je travaillais à Bogota. Un matin, le chef de la lutte anti FARC vint me voir dans me bureau. Il me demanda de l’accompagner dans un village situé près du QG des guérilleros. J’acceptai, le cœur battant. Mais lorsque nous arrivâmes au village, il apparut vite que nous avions été piégés. »
Vous avez lu jusque-là ? Bravo, vous connaissez déjà les techniques pour écrire un dialogue fort !
Mais restez encore un peu avec moi.
Vous allez à présent découvrir les secrets pour écrire un dialogue qui saura piquer l’intérêt de vos lecteurs et les passionner pour votre histoire.
3 – Les secrets pour écrire un dialogue qui cartonne
Injecter du mouvement dans le dialogue
L’idée est d’éviter d’enchaîner de grands blocs de dialogue, sans aucune pause. Vous risquez de produire un texte monotone et ennuyeux. Et une narration réussie se nourrit de contrastes.
La solution ? Pour certaines lignes de dialogue, substituez une action au traditionnel « dit-il » ou « dit-elle ». Donnez à voir le non verbal. Cela identifie le personnage en train de parler et montre son attitude.
En plus, cela rajoute un effet visuel intéressant.
Ainsi, au lieu de dire « — Tu fais toujours ça, dit-il ».
Essayez plutôt : « Il secoua la tête : « Tu fais toujours ça. »
Injecter de l’action et du mouvement permet aussi d’éviter de sombrer dans un dialogue purement mélodramatique.
Exemple :
« — Ô Franck, comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu me tromper après toutes ces années ?
— Je ne sais pas quoi te dire. J’en ai tellement bavé.
— Et les enfants, Franck ? Tu y as pensé avant de ruiner nos vies ?
— Jeanne, tu n’as pas été là pour moi depuis des années. Tu ne me regardes mêmes plus. Je voulais juste ton amour, Jeanne. Pourquoi n’as-tu pas été capable de me
donner ton amour ?
— Que vais-je dire à ma mère ? sanglota Jeanne. Ma vie est foutue.
— Qu’est-ce que je suis censé faire à présent ? hurla Franck. Je voulais juste un peu d’amour !»
Cette scène est déjà très intense au plan dramatique. Retranscrire les propos des protagonistes en train de se disputer pendant 20 lignes n’apporte pas grand-chose.
Le dialogue serait beaucoup plus efficace si l’un des deux se réfugiait dans le silence, ou réalisait une action forte, par exemple retirer son alliance et la jeter aux toilettes.
Ryan Mac Guire
Insérer de la tension dans le dialogue
Créez de la tension et du conflit à l’intérieur du dialogue, même entre deux alliés.
Pas besoin de recourir forcément à un affrontement en bonne et due forme, ou à une scène de colère. Une tension subtile est déjà très efficace.
La tension peut provenir du fait que chacun des personnages poursuit un objectif différent.
Elle peut aussi s’inférer d’interruptions : un personnage veut avouer quelque chose à un autre mais est constamment interrompu, soit par une tierce personne (enfants, arrivée inopinée des voisins, etc…), soit par l’environnement lui-même (téléphone, bruit…).
Ou alors les personnages en train de parler se distinguent par des visions du monde en totale opposition.
L’un des personnages peut être tendu parce qu’il a un secret, qu’il a peur que l’autre découvre ou apprenne quelque chose, ou que la conversation le renvoie à un évènement traumatique de son passé.
Ici, vous pouvez jouer avec ce que le lecteur ne sait pas (mystère), ou ce que l’un des personnages ne sait pas (empathie, angoisse sur ce que va être sa réaction).
La tension peut aussi provenir de l’atmosphère générale de la scène, d’une impression latente de menace ou de danger.
Voilà un exemple tiré d’un roman cher à mon cœur, le somptueux Petit pays de Gael Faye.
Nous sommes à la veille du génocide au Rwanda et au Burundi. Les parents du narrateur se disputent. La mère, une Rwandaise émigrée au Burundi, veut tout quitter pour s’installer à Paris, tandis que le père, Français, n’a aucune envie de quitter une Afrique qui lui permet une vie de privilégié :
« — Tu causes, tu causes, mais je connais l’envers du décor, ici. Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui les peuplent. Quand tu t’émerveilles de la beauté des lacs, je respire déjà le méthane qui dort sous les eaux. Tu as fui la quiétude de ta France pour trouver l’aventure en Afrique. Grand bien te fasse. Moi je cherche la sécurité que je n’ai jamais eue, le confort d’élever mes enfants dans un pays où on ne craint pas de mourir parce qu’on est…
— Arrête, Yvonne, avec tes inquiétudes et ton délire de persécution. Tu dramatises toujours tout. (…) Tu vis dans une villa à Bujumbura, pas dans un camp de réfugiés, donc arrête les grands discours, s’il te plaît !
— Je me fiche bien de ton passeport, il ne change rien à l’affaire, à cette menace qui rôde partout.»
Tout y est. La discorde entre les parents, les tensions politiques qui montent, des visions du monde qui s’opposent.
En bonus, voyez comme la tension et confrontation détournent l’attention du lecteur et permettent d’intégrer des informations sur le contexte et le passé de vos personnages sans sombrer dans l’info dumping 😉
J’espère que cet article vous aura inspiré pour muscler vos dialogues !
Photo de couverture : Squeeze.