Éviter les clichés ? Pas si simple. Ils sont prêts à fondre sur l’écrivain débutant comme la vérole sur le bas-clergé 😅
Mais le cliché, c’est quoi au juste ? Hervé Laroche, auteur du Dictionnaire des clichés littéraires, le définit ainsi :
« Le cliché résulte de l’imitation répétée d’une expression ou image originale, jusqu’à aboutir à une forme d’abstraction, avant de sombrer (cliché) dans le ridicule. »
Les clichés, lieux communs et stéréotypes peuvent s’inviter de diverses manières dans votre livre. Dans votre style, mais aussi dans vos personnages et votre intrigue.
Résultat ? Un texte appauvri et convenu, un auteur qu’on accusera de paresse.
Pour débusquer les clichés et surprendre votre lecteur, c’est par ici !
1 – Éviter les clichés dans votre style
Les clichés sont des images tellement parlantes et réussies qu’elles sont tombées dans le langage courant.
Elles sont donc souvent les premières qui nous viennent à la plume pour évoquer certains phénomènes. Petit florilège tiré du Dictionnaire des clichés littéraires : manquer cruellement, répéter inlassablement, des abîmes insondables, des plaies béantes, des blessures mal cicatrisées, des cendres encore tièdes, des décombres fumants, ou encore des chemins semés d’embûches…
Méfiez-vous aussi : du tapis blanc de la neige, mais aussi du manteau blanc de la neige (snif, je l’aime bien celui-là), de l’herbe fraîchement coupée, du monde merveilleux de l’enfance, des cheveux brillants et doux comme de la soie, des terres de contrastes, des corps qui ne font plus qu’un, sans oublier les héros qui vacillent au bord du gouffre ou qui doivent devenir qui ils sont …
C’est bien beau tout ça, mais comment y remédier ?
Pourquoi ne pas prendre carrément les clichés au pied de la lettre, comme Raymond Devos avec La mer démontée :
« Il m’dit :
La mer, elle est démontée.
Ah mais j’dis :
—Vous la remontez quand ?
Il m’dit :
—C’est une question de temps. »
On peut même les revendiquer, comme Françoise Sagan dans son portrait de New York :
« New York est une grande jeune femme blonde, éclatante et provocante au soleil, belle comme ce « rêve de pierre » dont parlait Baudelaire. New York qui cache aussi, comme certaine de ces grandes femmes trop blondes, des zones sombres et noires, touffues et ravagées. Bref, si le lecteur veut bien me passer ce lieu commun – et d’ailleurs, que peut-il faire d’autre ? – New York est une ville fascinante. »
2 – Créer des descriptions à fort impact
Une description percutante est un merveilleux outil pour sortir des stéréotypes.
Développez votre vision intérieure
Entraînez-vous à trouver des images originales et personnelles qui impliqueront votre lecteur aussi bien intellectuellement qu’émotionnellement.
Voici une description de paysage sous la neige qui ne cède pas à la facilité du tapis blanc de la neige, extraite de La joueuse de go de Shan Sa :
« Le ciel chargé de neige menace de s’écrouler. (…) Comment décrire la sévérité de l’hiver en Chine du Nord ? Ici, le vent hurle et les arbres rompent sous le poids de la glace. Les sapins ressemblent à ces stèles mortuaires barbouillées de peinture noire et blanche. »
Je ne sais pas vous, mais personnellement, ce texte me donne des frissons !
Pexels
Placez vos scènes dans un décor inattendu
Certains décors ont un goût de déjà vu, comme la scène de dispute conjugale dans la cuisine.
Mais imaginez maintenant la même scène dans un décor totalement différent.
Coincez par exemple votre couple dans un manège qui secoue à Disneyland, comme les tasses qui tournent. Ce décor riche en sensations va permettre au lecteur d’expérimenter physiquement le bouleversement qui va s’abattre dans la vie des personnages. L’impact de la scène peut d’ailleurs être renforcé par le contraste avec les enfants du couple qui ne se doutent de rien et sont en train de s’amuser dans la tasse d’à côté.
Focalisez sur un aspect unique du décor
On a tendance à décrire certains endroits toujours de la même façon.
Par exemple, pour montrer à quel point les hôpitaux sont des lieux sinistres : on évoquera les patients en piteux état qui s’entassent dans la salle d’attente, les odeurs d’antiseptiques, les médecins et infirmières qui passent dans les couloirs avec un regard indifférent, etc…
Normal, c’est la première chose qui vient à l’esprit. Mais est-ce que ce n’est pas un peu commun ?
Et si vous vous concentriez sur un unique aspect du décor ?
Par exemple, un simple tableau accroché au mur de la salle d’attente. Pour peu qu’il représente une tempête, il sera efficace pour créer une atmosphère angoissante.
Un aspect particulier du décor peut même interagir profondément avec un personnage, comme dans ce très beau texte de Rose Tremain :
“His curtains are drawn back and light floods into the room. To him, light is time. Until nightfall, it lies on his skin, seeping just a little into the pores yet never penetrating inside him, neither into his brain nor heart nor into any crevice of him. Light and time, time and light lie on him as weightless as a sheet. He is somewhere else.”
Oui c’est en anglais mais je préfère ne pas dénaturer le texte par une traduction maladroite…
La lumière qui passe à travers les rideaux de la chambre pour effleurer la peau du personnage, sans jamais pénétrer jusqu’à son cerveau ou son cœur, révèle de manière poétique et émouvante que le personnage n’appartient déjà plus aux vivants. Il attend la mort, tout simplement.
Donnez à voir le décor à travers les pensées et sentiments du personnage qui le regarde
Le décor exprimera alors l’état d’esprit d’un personnage bien particulier, avec sa vision unique de voir le monde et la problématique qui lui est propre.
Nous voyons tous les choses d’une manière légèrement différente de celle de notre voisin. C’est cette richesse qui permet d’éviter les clichés.
Dans Le silence d’Isra d’Etaf Rum, l’héroïne, Deya, rentre chez elle après les cours :
« Il y avait un gobelet de café vide près du caniveau, en carton bleu et blanc, écrasé, souillé de boue. Elle lut la phrase imprimée en lettres dorées – RAVIS DE VOUS SERVIR ! – et soupira. Impossible de s’imaginer un homme avoir l’idée d’une pareille phrase. Non, c’était sûrement une femme qui l’avait trouvée. »
La manière dont Deya appréhende l’inscription sur le gobelet de café exprime le thème du roman et le conflit personnel de l’héroïne, déchirée entre une tradition familiale qui opprime la femme et ses aspirations à une vie libre.
Un autre personnage aurait certainement eu des pensées totalement différentes face au même objet, du style « C’est vraiment n’importe quoi la propreté, ici, on se demande où passent nos impôts », « La ville est tellement sale, vivement qu’on déménage à la campagne », ou « Bon sang, à cet instant précis je donnerais tout pour une perfusion de café ».
3 – Éviter les clichés en éliminant les personnages stéréotypés
Les clichés ne menacent pas que votre langage. Ils guettent aussi vos personnages.
Donnez toujours un petit twist à votre personnage, un je ne sais quoi d’inattendu qui donne envie de le suivre.
Comme dans la vraie vie : on s’ennuie avec des gens trop prévisibles !
Faites faire à votre personnage l’opposé de ce qu’on attend de lui
La série The Shield (2002-2008) a été une des premières à mettre en scène un personnage de flic violent et corrompu, tranchant avec la représentation idéalisée de la police qui prévalait jusque-là.
Vic Mackey, son héros, dirige une unité de choc de la police de Los Angeles. Flic hors pair, il obtient d’excellents résultats dans la lutte anti-gangs. Violence extrême, racket, chantage, revente de la drogue saisie lors de ses descentes : ses méthodes sont peu orthodoxes !
Donnez une dimension particulière, une ambiguïté à vos personnages de méchants ou anti-héros
Si je reviens à Vic Mackey, le personnage est présenté de manière tellement négative dans le premier épisode de la série qu’on ne peut que le détester.
Détestable, mais fascinant. Pourquoi ?
Parque qu’il possède une intelligence et un charisme peu commun, qu’il excelle à la manipulation, qu’il dégage la présence physique d’un taureau ou d’un pitbull. Parce qu’il est impitoyable tout en étant – à sa manière – capable d’humanité.
Surtout, analysez les motivations de vos personnages. Elles doivent être en béton. C’est ce qui fera d’eux de vraies personnes, et non des stéréotypes. Il ne s’agit pas de surprendre votre lecteur pour le surprendre. Les actions de votre personnage doivent être cohérentes par rapport à sa psychologie et à son évolution.
C’est cette profondeur psychologique qui permet d’éviter les clichés. Pour Vic, sa motivation est l’argent mais peut-être plus encore le pouvoir et l’adrénaline, et une vision très personnelle du maintien de l’ordre, du vice et de la vertu.
4 – Poussez votre intrigue au maximum pour éviter les clichés
Qu’on le veuille ou non, notre esprit est façonné par les milliers d’histoires que nous avons lues, vues ou entendues.
Parfois on a tellement envie de se lancer dans la phase d’écriture de notre roman qu’on ne creuse pas suffisamment notre idée de base.
Sans même sans rendre compte, on risque alors de reproduire une histoire qui existe déjà et qu’on a emmagasinée dans notre esprit.
C’est d’ailleurs une tendance naturelle à la facilité que nous avons tous, moi la première 😊 C’est tellement bon d’écrire… et parfois tellement ingrat de se creuser les méninges sur son intrigue.
Sauf que ça ne trompera pas des lecteurs aguerris ou, pire encore, des éditeurs.
La solution ? Ralentissez un peu et développez votre muscle à intrigue
Remettez en question vos idées. Trouvez 10 autres possibilités d’intrigue auxquelles vous n’aviez pas encore pensé, et puis encore 3. Réfléchissez aux motivations de vos personnages, encore et encore. Rejetez tout ce qui est téléphoné.
C’est beaucoup de travail et cela implique de rejeter beaucoup d’idées jusqu’à en identifier une vraiment originale.
Mais une fois que vous l’aurez fait, vous aurez élevé votre manuscrit au-dessus de la pile d’histoires prévisibles que les éditeurs reçoivent tous les jours.
Et non, cela ne s’applique pas qu’aux thrillers ou aux polars. Tous les genres de romans sortiront améliorés par une intrigue plus riche !
Une technique extrême pour éviter les clichés dans vos intrigues : le corner
Placez vos personnages dans une position tellement inconfortable que même vous ne savez pas comment les en sortir :
On pense tout de suite au classique cliffhanger, qui laisse le héros dans une situation des plus inconfortable, du style suspendu à une falaise par le petit doigt.
La Mort aux trousses, Alfred Hitchcock.
Une autre possibilité, plus subtile, est de placer les personnages dans un dilemme moral insoluble, dans lequel chacun des choix s’offrant à lui est inacceptable.
Exemple : Pourvu que la nuit s’achève de Nadia Hashimi. L’héroïne est déchirée entre dire ce qu’elle sait sur la mort de son mari et ruiner la vie d’innocents. Entre se taire et être condamnée pour meurtre.
Non seulement, le dilemme rend votre histoire plus intéressante, mais il vous force à penser avec plus de profondeur à votre intrigue, et à ce qu’elle implique au plan émotionnel pour vos personnages.
J’espère que cet article vous aidera à développer votre authenticité d’auteur, loin des clichés !
Dans le même style, je vous recommande l’article du blog Ces erreurs d’écriture qui plombent votre roman.
Photo de couverture : Matheus Bertelli